Désespérer d'abord
Surtout, ne prêchez pas le désespoir aux esprits faibles.
Car il n'y a pas de doute: la Vérité, c'est d'abord le Désespoir. Le fameux vers de Dante: Laissez toute espérance, vous qui entrez, n'est pas écrit sur la porte de l'Enfer, mais bien sur celle de la Sagesse. Si cette dernière n'est pas une façon de se crever les yeux pour ne pas voir, ou de déguiser le monde en l'affublant d'un au-delà postiche, ou de maquiller l'histoire en lui attribuant un progrès, un sens, une finalité qu'elle n'a pas; si le Sage est celui qui apprend à vivre, et à bien vivre, ici et maintenant, dans cet univers et non dans un autre, alors le refus de croire et le refus d'espérer sont les deux vertus cardinales. Elles peuvent conduire au détachement, qui est à la base de toutes les grandes mystiques.
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Personne ne pense à "Dieu", qui est par définition impensable. Mais quiconque pense au Rien un quart d'heure par jour est déjà sur la bonne voie. Cette seule pratique suffit à tout remettre en place. Elle nous permet d'attribuer à chaque chose, à chaque évènement, l'importance qu'il a, et pas davantage. Elle nous aide à distinguer l'accessoire de l'essentiel. Elle nous prémunit enfin contre l'agressivité morbide, les remords inutiles, les passions sans espoir, l'excessive dépendance de l'opinion d'autrui.
Parions donc pour le néant, mes frêres. Si nous perdons, nous ne perdons rien puisque nous aurons appris la sagesse, qui est un bien dans tous les mondes possibles; et si nous gagnons, nous gagnons tout, ayant accepté de tout perdre.
Pierre Gripari, L'Evangile du Rien