"Drôle de paroissien"
Pour dire les choses de façon brève, je suis trop consciemment européen pour me sentir en rien fils spirituel d'Abraham ou de Moïse, alors que je me sens pleinement celui d'Homère, d'Epictète ou de la Table Ronde. Cela signifie que je cherche mes repères en moi, au plus près de mes racines et non dans un lointain qui m'est parfaitement étranger. Le sanctuaire où je vais me recueillir n'est pas le désert, mais la forêt profonde de mes origines. Mon livre sacré n'est pas la Bible, mais l'Iliade et l'Odyssée, poèmes fondateurs de la psyché occidentale, qui ont miraculeusement et victorieusement traversé le temps. Des poèmes qui puisent aux mêmes souces que les légendes celtiques et germaniques dont ils manifestent la spiritualité, si l'on se donne la peine de les décrypter. Pour autant, je ne tire pas un trait sur les siècles chrétiens. La cathédrale de Chartres fait partie de mon univers au même titre que Stonehenge ou le Parthénon. Tel est bien l'héritage qu'il faut assumer. L'histoire des Européens n'est pas simple. Après des millénaires de religion indigène, le christianisme nous fut imposé par une suite d'accidents historiques. Mais il fut en lui-même en partie transformé, "barbarisé" par nos ancêtres, les Barbares, les Francs et autres. Il fut souvent vécu comme une transposition des anciens cultes. Derrière les saints, on continuait de célébrer des dieux familiers sans se poser de grandes questions. Et dans les monastères, on recopiait souvent les textes antiques sans nécessairement les censurer. Cette permanence est encore vraie aujourd'hui, mais sous d'autres formes, malgré les efforts de prédication biblique. Il me semble notamment nécessaire de prendre en compte l'évolution des traditionalistes qui constituent souvent des îlots de santé. La pérennité de la famille et de la patrie dont ils se réclament, la discipline dans l'éducation, n'ont rien de spécifiquement chrétien. Ce sont les restes de l'héritage romain et stoïcien qu'avait plus ou moins assumé l'Eglise jusqu'au début du XXème siècle. Inversement, l'individualisme, le cosmopolitisme actuel, le culpabilisme sont bien entendu les héritages laïcisés du christianisme, comme l'anthropocentrisme extrême et la désacralisation de la nature dans lesquels je vois la source d'une modernité faustienne devenue folle.
Dominique Venner répondant à Christopher Gérard, Eléments n°130 (Hiver 2009)
Le christianisme a tout de même bon dos sur certains points (l'individualisme était déjà inscrit dans les enseignements épicuriens et stoïciens). Quant à son rôle dans l'histoire du paganisme, il est lui-même fort complexe: d'un côté exterminateur impitoyable de toute "l'idôlatrie païenne", ne doit-on pas justement à ses récupérations multiples le fait de connaître encore une bonne partie des mythes ancestraux qui, Dominique Venner le rappelle fort bien, frappent plus nos esprits que la tournée d'Abraham & Cie entre l'Irak et l'Egypte?
Les critiques sont les bienvenues.